INTRODUCTION
Comment les espaces que nous habitons agissent-ils sur nos vies et nos souvenirs? Par quels empilements, quels effondrements intérieurs passons-nous durant toute une existence? Formée dans un lieu — la Manufacture de Lausanne — où se taillaient autrefois des pierres précieuses, Emilie Blaser travaille depuis 2011 sur les points de rencontre entre deux disciplines qui la passionnent: le théâtre et l’architecture.
Le langage du théâtre et celui du bâtiment se retrouvent dans l’idée de «situation construite», expression empruntée à l’artiste Tino Sehgal qui définit la forme vers laquelle tendent les spectacles de la Distillerie Cie: des pièces créées et jouées dans des lieux choisis pour la force de leur architecture ou de leur histoire, utilisant l’espace tel qu’il se présente sans le dénaturer, envisagées comme des rencontres entre plusieurs disciplines (texte, musique, danse, vidéo…) et invitant le public à déchiffrer, en compagnie des artistes, un palimpseste insoupçonné de pierres et d’existences.
A la fois personnage principal et décor unique de la représentation, le lieu dicte sa forme au spectacle. Combien de fois arpentons-nous, tête baissée, notre environnement de vie sans prêter attention aux détails de son architecture? Avec un faible pour les perles de délabrement, les édifices incongrus et le secret des jardins empierrés — bref, tout ce que le photographe Michel Denancé désignait sous le nom de «petites agonies urbaines» —, la Distillerie Cie convoque ici et maintenant l’esprit du lieu pour le faire revivre. Un théâtre immédiat, libéré de ses espaces de jeu traditionnels et dans lequel les expériences et les souvenirs de chacun peuvent se déployer.